Aether (Equivalent Exchange)

Last Frontier

24/01/2020

Revalve Records

Pendant très longtemps, la dernière frontière à franchir était l’espace. Fut un temps où en cherchant à rallier les Indes, Christophe Colomb découvrit par hasard l’Amérique. Soit. Aujourd’hui, quelle est cette dernière frontière à franchir pour boucler la boucle de l’humanité ? Sa propre fin ? Le virtuel ? Puisque l’espace ne dévoilera jamais tous ses secrets et que la science a affirmé récemment que la seule planète colonisable par l’homme restait Mars, les possibilités se restreignent et la question de l’expansion demeure en suspens. En ramenant les débats sur un terrain plus anecdotique, reste-t-il des lignes à enjamber en musique ou a-t-on déjà tout découvert, exploité, recyclé au-delà du raisonnable ? Je serais tenté d’opter pour cette dernière option, tant les artistes s’échinent à faire du presque neuf avec du totalement vieux, se tournant vers le vintage pour oublier qu’ils ne peuvent plus rien inventer. Et en termes d’innovation, mis à part un opéra entièrement composé par une intelligence artificielle, je ne vois pas comment s’extirper du schéma bien établi de l’alternance old-school/pas forcément new-school. Mais soit, admettons que plus rien de neuf ne reste à dire, est-ce pour autant que les instruments doivent être posés et les micros débranchés ? Non, car il reste toujours un moyen de combiner des éléments, comme en cuisine, pour proposer des saveurs sinon nouvelles, du moins pas forcément connues par cœur. C’est ce que les italiens de LAST FRONTIER sont supposés nous offrir, eux qui définissent leur musique comme du Heavy atmosphérique, sans autre précision utile. Créé en 2005 du côté de Naples par le guitariste Mimmo Natale et le claviériste Cyrion Faith, LAST FRONTIER est aujourd’hui un quintet complété de Fulvio Liguori à la batterie, depuis 2014, de Salvatore Argiento à la basse depuis 2015 et de Marco Cantoni au chant depuis l’année dernière. Ce petit monde se cachant derrière des pseudos assez cocasses (Nitrokill, Silent Kaos, Thor Underdog…), il eut été assez facile de les attendre dans l’impasse du looké coquet mais sans réel fond, à l’image d’une bande de fanas Metalcore plus préoccupés par leur petite apparence que par leur pertinence, mais heureusement pour nous, la musique des transalpins est aussi efficace que leur image n’est cocasse. Et si le terme générique de Heavy atmosphérique peine à vraiment décrire avec acuité leur démarche, il permet de baliser le terrain sans trop le confiner.

En quinze ans d’existence, les napolitains ont pris le temps de préparer leur répertoire avec trois démos, avant de se lancer avec leur premier longue-durée Apocalypse Machine en 2010. A ce moment-là, nous aurions pu penser la machine lancée pour de bon mais il fallut attendre encore quatre ans pour avoir une suite avec Theta Healing (Through the Poison), publié en 2014. Avec ces deux albums, le groupe a façonné les contours de son art pluriel, mais autant admettre que les six ans supplémentaires et nécessaires à la préparation de cet Aether (Equivalent Exchange) auraient salement pu les faire tomber dans l’oubli. Six ans c’est long, surtout lorsqu’on n’a pas encore atteint un statut enviable, mais à l’écoute de cette heure de musique inédite, je comprends mieux le long hiatus. Le groupe a en effet cherché la perfection dans son domaine étrange, situé en convergence d’un Heavy Metal classique, d’un Progressif modeste et d’un Symphonique discret, pour aujourd’hui toucher du doigt l’apogée d’une démarche classique dans le fond, mais très personnelle dans la forme. Assez facilement, et avec un peu de recul, il serait assez facile de voir en « Cults of Cargo » un savant mélange entre la richesse doublée de complexité de DREAM THEATER et la franchise mélodique virile d’IRON MAIDEN. En abordant le cas de ce trop fameux « culte du cargo » si cher au Gainsbourg de Melody Nelson (le culte du cargo est un ensemble de rites des aborigènes d’Océanie qui consistait à imiter la technologie et la culture occidentale), LAST FRONTIER propose un mi-chemin assez intéressant entre les prétentions techniques et les arrangements grandiloquents du Progressif métallique moderne, et l’efficacité des riffs et tierces du Heavy tel qu’il fut conçu dans les années 80, jouant donc sur plusieurs tableaux d’époque. Avec ce morceau d’entame, les italiens jouent franc jeu, et assument leur penchant pour la grandiloquence efficiente, nous proposant des couplets complexes et des breaks nombreux, pour mieux se retrouver collectivement lors d’un refrain vraiment fédérateur. La méthode est convenue, mais toujours aussi percutante, et l’impression laissée durable.

Mais plus qu’un succédané de gloires existantes, il faut voir en ce groupe la synthèse des méthodes les plus internationales de dilution de la mélodie et de structures opératiques dans un contexte Rock. Ne fuyant jamais l’emphase, le quintet n’en profite pas non plus pour s’en remettre à des gimmicks trop faciles, et dévoile un art consommé de l’ambiance travaillée et mystique, ce qui leur permet sans doute de s’en remettre à cette étrange étiquette de Heavy atmosphérique. Ainsi, l’entame de « Fields of Thetis » nous plonge dans un monde étrange aux échos spatiaux, jusqu’à ce que le vrai couplet entre en jeu et ose un Metal proche des philosophies de BLIND GUARDIAN, RHAPSODY et autres défenseurs de la cause, sans user de clichés trop virils pour être encore convaincants. Adeptes de l’arythmie ponctuelle, les napolitains avouent une inclinaison à la démonstration de style, mais n’en abusent jamais. Leurs morceaux sont généralement bâtis sur une savante alternance de premier et second degré, avec toujours en exergue ces mélodies prononcées, mises en valeur par le chant lyrique du nouveau venu Marco Cantoni. L’atmosphère rappelle d’ailleurs parfois les CRIMSON GLORY les plus précieux, lorsque les lignes de chant s’enflamment sur fond de Heavy solide mais ciselé (« Flames of Moloch »), et si chaque titre ou presque empiète sérieusement sur les cinq minutes, les idées ne manquent pas pour relancer l’attention. Evidemment, on s’intéressera de plus près au final « Shahar », qui avec ses douze minutes ne manque pas d’évoquer le souvenir des clôtures héroïques de MAIDEN, mais il est certain que cet épilogue ambitieux était parfaitement ce qu’Aether (Equivalent Exchange) méritait.

Niveau reproches à formuler, peu de choses, si ce ne sont quelques harmonies un peu trop redondantes, un son de clavier un peu irritant, et des riffs typés qui tendent à se répéter, mais avec une production équilibrée et une batterie à l’écho grave, ce troisième album de LAST FRONTIER déroule sa noblesse pendant presque une heure sans lasser, grâce à des trouvailles inventives et une interprétation sans fautes. Un disque à réserver à ceux qui pensent que le Heavy classique peut encore être modernisé sans se trahir, et qui n’attendent plus d’un groupe qu’il franchisse des limites inconnues. Aether (Equivalent Exchange) n’est certainement pas la frontière finale dont parlait MAIDEN (il se montre néanmoins largement supérieur), mais il reste une étape fascinante sur un chemin qui est encore loin d’avoir dévoilé tous ses secrets.

                            

Titres de l’album :

                          01. Toward the Last Frontier

                          02. Cults of Cargo

                          03. Fields of Thetis

                          04. Flames of Moloch

                          05. Wings of Stone

                          06. The Willow

                          07. The River

                          08. The Brier

                          09. Shahar

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par mortne2001 le 02/06/2020 à 17:27
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