Discourse

Tuscoma

24/04/2020

Autoproduction

Pour plaisanter, les néo-zélandais de TUSCOMA annonçaient la sortie de leur second LP en conseillant à leur fans d’acheter un gros lot de papier toilette. Non qu’ils aient accepté le sponsoring de Lotus ou quelque autre compagnie de fabrication, mais ils pensaient tout simplement qu’en l’écoutant, nous allions nous faire dessus. Ce trait d’humour relatif au comportement douteux des gens durant le confinement et sortant des grandes surfaces les bras chargés de papier hygiénique était assez bien vu, d’autant plus que les lascars n’avaient pas tort quant à l’état du transit des gens susceptibles de coller leurs oreilles sur ce méfait annoncé de longue date : il colle en effet les miquettes. Dans un registre qui reste assez difficile à définir (est-ce du Post Black ? Du néo-Black ? Du Blackened quelque-chose ?), les deux kiwis nous offrent donc la suite de leurs aventures bruyantes, et entamées par un premier long il y a deux ans, l’assourdissant Arkhitecturenominus qui avait méchamment secoué l’underground, et pas seulement dans leur pays d’origine. Et si les deux musiciens relayaient avec fierté le partage de leur publication par la référence DEAFHEAVEN, il n’y a finalement pas de quoi s’étonner puisque les deux groupes partagent bien des points communs. Sauf que les néo-zélandais ne s’arrêtent pas à une contemplation bruyante, et mettent au point une concrétisation de la situation mondiale en musique. Ce qui fait de leur dernier né une bête difforme, pluriforme même, hideuse, mais à la silhouette réaliste et aux cris cathartiques. Une sorte d’expiation des pêchés en bruit blanc majeur, une excroissance horrible qui pousse sur les cordes vocales avant de s’en prendre au reste du corps, une maladie vénérienne qu’on se refile sans arrière-pensée, mais sans soupeser les conséquences. Et de fait, Discourse est plus qu’un discours, il est un constat amer, lourd, pesant, dissonant, mais bénéfique dans sa lucidité.

Au départ étaient deux musiciens, Joe Wright (batterie) et Kurt Williams (chant/guitare), désirant s’exprimer de leur Nouvelle-Zélande natale, et rivaliser en intensité avec tous les cadors de la méchanceté métissée mondiale. En un seul album, le duo se fit un nom, et celui de TUSCOMA commença à pendre des lèvres des fans de la brutalité la plus outrancière mais néanmoins mélodique. Et que vous appeliez ça du Blackgaze, du Post Black ou tout autre chose : le niveau sonore atteint par les deux compères n’a que peu d’équivalent sur la scène australe. Enregistré et produit par Chris Johnson, qui tient aussi la basse sur l’album, mixé et masterisé par Jack Shirley au The Atomic Garden d’Oakland, et emballé dans une superbe photographie noir et blanc signée par Alexander Hallag (the Music is Talking), Discourse est à l’image de tous ses morceaux : massif mais souple, étourdissant mais logique, extrême, mais compréhensible. Pour l’entamer, peu importe que vous le preniez par ordre de tracklisting ou de façon aléatoire, puisque chaque segment est représentatif d’un ensemble gigantesque. Ainsi, si d’aventure vous choisissiez de commencer l’expérience par « The Fundamentalist », vous pourriez envisager la chose sous un angle Post-Industriel. Les nombreuses répétitions, l’aspect « bloc » du son, les guitares monolithiques et résignées à n’exprimer qu’un seul motif, et ce chant exhorté d’une gorge fatiguée ne trahissent en rien le reste du répertoire, qui parfois se dirige vers une forme très Hardcore de Black Metal moderne, à l’image sonique de l’impitoyable « Sustained Overflow ». Car en plus de jouer très fort et de crier très souvent, le duo n’a pas peur de s’éterniser et de proposer des chansons de plus de huit minutes pour accentuer le malaise. Mais pourtant, on se prend au jeu de la douleur, et le temps passe très vite en leur compagnie. On a parfois le sentiment de regarder un snuff movie en compagnie de pervers habitués au glauque de l’exercice, voire même d’en être la victime par procuration,  mais ce sadisme n’a rien de gratuit : il éveille les consciences, et surtout, révèle un potentiel. Un potentiel pluriel, qui utilise les codes de nombreux genres pour parvenir à ses fins. On entend par exemple des percussions tribales dignes d’un Core allemand souffreteux, on capte aussi des essences brumeuses de BM scandinave, et on essuie les plâtres matinaux d’une rêverie Blackgaze à la DEAFHEAVEN avec un café froid. Et en parlant de froid, « Is the modern still modern? » le souffle à plein régime, avec un riff plein et des lignes vocales qui font mal au cœur.

Un peu classique dans son traitement, mais résolument personnel dans sa conception, ce second LP fait preuve d’une maturité exceptionnelle, et étonne de la part d’un simple duo capable de couvrir le bruit assourdissant d’une société à l’agonie. En version courte, les deux musiciens sont capables de jouer avec nos nerfs et de provoquer un Proto Black-Grind étonnant mais franchement véhément (« Softly Spoken »). En version très longue, les qualités individuelles et l’osmose collective sont encore plus patentes, et « Ever Normal » de nier la normalité de ses neuf minutes d’errance, au petit matin d’une nuit éternelle qui ne finira jamais vraiment. Une musique qui sent les néons blafards, qui renifle la coke sur le cadavre des illusions, qui transpire d’ennui sous une couche de colère épaisse, et qui finalement, vomit sa lassitude sur les trottoirs de Wellington. On se demande parfois si les TUSCOMA ne sont pas les fils spirituels d’un UNSANE encore plus urbain et cynique, tant la tension de la guitare et du chant rappelle le New-York le plus impitoyable envers las parias. Capables d’imbriquer un crescendo tout en le cassant en son centre d’un break énorme et digne des SWANS, les deux musiciens agencent leur musique librement, en se basant sur leurs humeurs, toujours maussades, parfois dangereuses pour autrui, mais incroyablement en adéquation avec une situation mondiale préoccupante. Malgré quelques arpèges plus doucereux (mais pas moins amers), l’intensité ne baisse jamais d’un cran, et les riffs sont toujours aussi plombés et sombres. « Something is Never Enough » joue la lancinance d’un mid tempo groovy pour mieux nous engluer dans la toile, et lorsque le duo se cale sur le même rythme, la sensation d’hypnose le confine à une somnolence éthérée, comme si les évènements les plus dramatiques étaient devenus une simple routine à accepter.

Dans le fond, Discourse est relativement difficile à digérer dans son intégralité. Il demande un effort de résistance, et laisse un peu exsangue, le souffle coupé d’avoir ouvert les yeux. Mais il reste un constat efficace, un autre regard sur un style qu’on peinera à définir, et une adéquation parfaite entre une pochette et son contenu. Une sorte d’asphyxie musicale probablement. Pourrez-vous retenir votre souffle assez longtemps ?    

   

Titres de l’album :

                     01. Is the modern still modern?

                     02. Softly Spoken

                     03. Aperture Unknown

                     04. The Fundamentalist

                     05. Sustained Overflow

                     06. Something is Never Enough

                     07. Nothing is Forever

                     08. Ever Normal

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par mortne2001 le 13/12/2020 à 17:46
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