Victoria/Jeiunium

Ancress

18/11/2016

Hypaethral Records

Souvent les œuvres littéraires servent de base à des concepts musicaux plus ou moins aboutis. Il est vrai que la matière écrite est propice à des interprétations harmoniques facilement retranscriptibles…

Plus rarement, c’est une œuvre picturale qui sert de terreau à l’émergence d’un travail mélodique (ou pas), et le résultat est souvent fascinant, offrant un regard neuf sur des travaux abstraits, ouverts à l’interprétation, les éclairant d’une lumière inédite, souvent émise par la psyché de musiciens avides de thématiques moins évidentes que la sempiternelle violence urbaine ou la décadence d’un monde brûlant à sa perte.

Un nouveau cas nous en est offert par le collectif canadien ANCRESSCelle qui s’est retiré du monde »), qui a décidé d’adapter en partitions les peintures de l’artiste Polonais Zdzisław Beksiński, assassiné dans des conditions sordides et tragiques par une jeune connaissance de dix-neuf ans, pour une simple histoire d’argent.

L’œuvre de Beksiński se décompose en deux périodes, balisées par des cadres assez précis. La première partie de sa carrière s’est focalisée sur un travail de « réalisme utopique », tandis que la seconde s’est plus volontiers portée sur un style plus abstrait, empreint de formalisme.

L’ensemble dégage une puissance indéniable, avec un trait personnel, et des graphismes détourné de dystopie, qui ont visiblement suffisamment impressionné les Canadiens d’ANCRESS, au point de consacrer à son travail un quadruple album, dont les deux premiers volets sont présentés ici, et disponibles en format double LP, avant qu’une suite ne voie le jour (le quadruple album de départ a vu ses prétentions revues à la baisse eut égard au cout engendré…).

D’un point de vue plus concret et pragmatique, les ANCRESS viennent tous de groupes de l’écurie A389 Recordings (VILIPEND, TITAN, HOMOLKA, EYESWITHOUTAFACE), et se complaisent dans le brouillage de pistes le plus absolu, en refusant catégoriquement de se raccrocher à un wagon de style bien précis. Mélangeant des éléments de Crust, de Hardcore, de Grind, de BM et d’Industriel, les Canadiens ont choisi la voie de l’abstraction pour coller de près à la thématique conceptuelle choisie, et proposent donc un album d’une grosse trentaine de minutes d’une versatilité assez bluffante, et d’une originalité relativement saisissante.

Sous une pochette à l’artwork signé de la main d’Alex CF (FALL OF EFRAFA, LIGHT BEARER) se cache dont une des plus grosses surprises de la fin 2016, et Victoria/Jeiunium ouvre des perspectives aussi intéressantes et envoutantes que la peinture de Beksiński, d’où ce double album tire son essence propre.

Dès lors, il est assez difficile de parler d’une musique aussi plurielle sans la vulgariser, ce qui serait une insulte à la créativité de ces musiciens qui ont justement refusé tout ancrage trop marqué pour perdre l’auditeur dans leur imagination guidée.

Tout est possible, et toute interprétation validée d’avance. Tel est donc le crédo de cet album déstabilisant, aussi serein qu’il n’est chaotique, et qui peut de secondes en minutes évoquer la galaxie CULT OF LUNA, comme le Post BM stellaire des ALCEST, ou la quiétude mono/automnale des MONO, sans pourtant se rapprocher de l’une ou l’autre de ces références de trop près.

Victoria/Jeiunium est donc un LP qui échappe à toute catégorisation, et qui offre un voyage aux confins de la, ou d’une vérité, que même ses musiciens ne semblent pas forcément détenir.

Passant d’un Post Hardcore impitoyable à un Doom/Sludge salement torturé, les ANCRESS ne font rien pour nous guider dans leur monde de ténèbres et de lumière, et nous laissent admirer leurs œuvres comme on regarderait des peintures lors d’une exposition, apportant chacun son raisonnement pour aboutir à une conclusion multiple, et sans doute trop personnelle pour se rapprocher du sens initial.

Pour autant, rien de pompeux ou élitiste ne vient marquer ces neuf morceaux aussi différents qu’ils ne s’imbriquent logiquement, dans une progression profondément humaniste. La musique qui les anime est tout simplement trop ouverte et plurielle pour offrir une rambarde de protection rassurante, ce qui en fait une des qualités les plus recherchées dans le monde de l’extrême.

Cet extrême que les Canadiens semblent rattacher à la simplicité brute d’harmonies amères, comme en témoigne le très long labyrinthe « The Long Walk », qui se fait un plaisir de mélanger la crudité d’un duo guitare/chant à la UNSANE à la stabilité monolithique d’une rythmique à la NEUROSIS, aussi brisée qu’elle n’est linéaire et Sludge.

Mais avant d’en arriver à la toile musicale la plus conséquente de ce Victoria/Jeiunium, il vous faudra passer par des étapes plus brèves mais tout aussi étranges, comme cette ouverture chaotique « A Mother’s Love » qui de son Hardcore viscéral capture l’urgence de la scène UNSANE/CANDIRIA, à grand renfort de guitares abrasives et de chant écorché et maladif.

« Force Fed », suite illogique, se repaît de Crust/Grind implacable, que de soudaines phases de riffs accrocheurs viennent interrompre pour attirer l’attention des plus modérés bruitistes.

« Knell », interlude Ambient oppose des nappes synthétiques à un discours samplé mixé en arrière-plan, tandis que « Embraced » répand les effluves d’accords électriques apaisés, typique d’un Post Hardcore serein, brutalement crucifié par des lacérations rythmiques impitoyables. Aussi BM qu’elle n’est Hardcore, mais sans jamais tomber dans la vulgarité d’un Blackened Hardcore dénoué de facilités, la musique des ANCRESS se veut complexe et pourtant instinctive et intuitive, bouffant à tous les râteliers sans jamais avaler plus que la satiété n’exige.

« As Trumpets Fade » place une énorme basse ronde aux avant-postes, et déroule un mid tempo brisé au charme FUGAZI très prononcé, avant que l’assaut impitoyable de dualité de « Seven Sorrows » ne vienne corrompre la quiétude d’un Ambient harmonique d’un Hardcore torturé et maladif.

Et au-delà de la longue litanie « The Long Walk » se placent les terminaux « Quitoxic », et son long crescendo Ambient menant à la conclusion « Pyres », acmé d’un album en sensations évolutives, qui reprend en format concentré toutes les caractéristiques libres d’un groupe vraiment à part, en osant le Grind le plus torride, le Hardcore le moins limpide, et le Post Metal livide.

Je n’ai jamais eu la chance de pouvoir admirer l’œuvre picturale de Zdzisław Beksiński, et je le regrette amèrement tant ses peintures me parlent d’un monde complexe qui pourrait être mien. Mais grâce aux Canadiens d’ANCRESS, nous avons tous la possibilité musicale de pénétrer son univers, d’une façon détournée, mais terriblement respectueuse de la multiplicité de ses interprétations.

Un disque passionnant de bout en bout, unique en son genre, aussi abscons qu’il n’est abordable. Et si la perception individuelle est sujette à la subjectivité, Victoria/Jeiunium dégage un éventuel consensus de qualité, puisque même ses détracteurs éventuels sauront admettre ses atouts intrinsèques qui ajustent l’originalité à la pertinence disharmonique, ou pas, au contraire.

Un bien bel hommage à un artiste essentiel, qui je n’en doute aucunement, se serait retrouvé dans les pistes d’un disque aussi riche et sombre que ses peintures n’étaient abstraites et pourtant si parlantes…


Titres de l'album:

  1. A Mother's Love
  2. Force Fed
  3. Knell
  4. Embraced
  5. As Trumpets Fade
  6. Seven Sorrows
  7. The Long Walk
  8. Quixotic
  9. Pyres

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par mortne2001 le 24/04/2017 à 14:30
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