Beyond

Jester’s March

Voici encore un exemple de groupe arrivé sur le tard avec une musique un peu trop en retard sur les modes. En 1991, le public Metal savoure ses dernières grosses sorties, alors que l’alternatif s’apprête à dominer le marché sans aucun partage. L’heure est au minimalisme, aux friperies, aux concerts donnés comme à la parade d’un garage mal rangé, et la sophistication est devenu l’ennemi ultime. Comme dans les années 70 avec l’avènement du Punk qui relégua la vieille garde du Rock et du Prog au rang de vestige d’un autre temps, le Grunge a balayé la magnificence des productions 80’s avec un sourire sarcastique. Combien de groupes et d’albums majeurs sont morts avant d’être nés entre 1991 et 1995, retour en presque grâce du Heavy Metal, sous une autre forme ? Le débat est d’importance, et sera abordé dans ces colonnes avec la réhabilitation d’œuvres conséquentes, parfois anecdotiques mais d’une portée émotionnelle tangible. C’est ainsi que le cas des allemands de JESTER’S MARCH mérite d’être abordé avec précaution, le groupe n’ayant pas connu une carrière de tout repos, ni un parcours rectiligne. Fondé en 1988 par le guitariste Pierre Danielzyk, le bassiste Martin Hirsch et le batteur Oliver Schütrumpf, JESTER’S MARCH est l’archétype de formation ayant émergé un peu tard pour intéresser les jeunes, et trop tôt pour se présenter comme un artefact de valeur. Après avoir gonflé leurs rangs de l’adjonction du guitariste Ingo Brusehaber et du chanteur Michael "Major" Knoblich, le désormais quintet enregistra une première démo, Audience to the King, et ses six titres publiés en 1989. Mais las, à peine cette maquette gravée, de grosses divergences d’opinion sur la ligne artistique à suivre vit Brusehaber et Knoblich quitter le navire de façon un peu forcée (ils étaient selon la légende un peu trop portés sur le Speed Metal). Le line-up fut rapidement réajusté avec l’intégration de deux frères, Olaf (chant) et Michael Bilic (guitare), et le groupe put donc honorer un contrat avec Steamhammer/SPV afin d’enregistrer son premier album, avec le guitariste de RISK Heinz Mikus en tant que producteur.

C’est ainsi que le 25 février 1991, Beyond sortit sur un marché moribond pour le Metal classique, qui toutefois connut cette année-là ses derniers soubresauts d’honneur. 1991, c’est Alice COOPER avec Hey Stoopid, mais surtout METALLICA et son Black Album, GUNS N’ROSES avec la doublette de doublette Use Your Illusion, MR BIG et Lean Into It, les RED HOT et Blood Sugar, soit la dernière année avant le blackout total pour les formations affiliées au Hard-Rock. Dans ce grand remue-ménage qui s’annonçait, et relégué en seconde division des priorités, JESTER’S MARCH n’avait à priori aucune chance d’imposer sa vision très classieuse d’un Heavy Metal progressif, tirant parfois sur le Thrash, technique, fouillée, précise, et précieuse, soit une musique qui avait plus ou moins révolutionné le créneau dans les années 80 via ses représentants les plus nobles et avant-gardistes. La presse d’ailleurs ne se gêna pas pour dresser un nombre conséquent de comparaisons, les journalistes citant dans leurs chroniques les noms inévitables de QUEENSRYCHE, CRIMSON GLORY, SANCTUARY, FIFTH ANGEL, mais aussi FATES WARNING, soit la quintessence d’un Metal de haute volée, subtilement élitiste, mais harmoniquement riche. Et c’était évidemment ce créneau qu’occupaient les pauvres JESTER’S MARCH, complètement à contre-courant d’un multigenre dominé par le Death Metal, le Rock plus sauvage et la Fusion la plus swinguante. Pas de bol ? Non car ce premier album des allemands reste l’un des musts d’une décade qui en a connu beaucoup, mais qu’il convient d’exhumer régulièrement afin que le public s’en souvienne. Je ne suis pas certain d‘ailleurs que la majorité du lectorat de Metalnews ait connu cet album en temps et en heure, tombant certainement dessus à l’occasion en lisant un quelconque recensement des albums injustement passés à la trappe qui auraient mérité un destin moins anonyme. Mais le temps fait toujours son affaire, et il n’est pas vain de retourner en arrière lorsqu’on a la possibilité de redécouvrir des œuvres qui méritent le détour, à l’image de Beyond qui ne ménageait pas ses efforts pour séduire les accros au Heavy mélodique, puissant et lyrique.

Heavy Metal, mais pas que. Même si Brusehaber et Knoblich furent limogés pour cause de tendances musicales un poil trop brutales, Beyond ne rechignait pas à jouer avec les limites des sous-genres, à l’image de CRIMSON GLORY, FIFTH ANGEL ou SANCTUARY, pour parfois se frotter à une forme très raisonnable de Thrash, ce que le premier morceau « Middle of Madness » prouvait de ses riffs amples et saccadés, que METAL CHURCH aurait pu mettre en relief sur The Dark. On pensait même à l’époque à une fusion étrange entre QUEENSRYCHE et HALLOW’S EVE, tant ce premier titre s’amusait beaucoup à combiner le lyrisme des premiers et la puissance souple des seconds. Toujours en marge d’un Techno-Thrash pas totalement assumé, JESTER’S MARCH revenait régulièrement dans le giron d’un Heavy harmonique à la Seattle, et rappelait même par instants fugaces les magiques HEIR APPARENT dans une version plus pro et contemporaine. D’ailleurs, le riff incroyablement redondant de « Believe » continuait sur cette piste, nous ramenant à l’époque bénie de Transcendance ou Crimson Glory, avec un panache indéniable. Disposant d’un son énorme pour le genre, le quintet allemand faisait montre de toutes ses qualités instrumentales, avec un bassiste volubile et une paire de guitaristes efficaces en rythmique, et précis en solo. L’ambiance était même parfois digne du chef d’œuvre Operation Mindcrime adapté d’une technique effarante et millimétrée à la WATCHTOWER, ce que l’opératique et échevelé « Jester’s Rise » démontrait de sa majesté emphatique. Avec un chant à la Geoff Tate sans les envolées trop aigües (mais quand même un peu), JESTER’S MARCH disposait d’un vocaliste dans la plus pure tradition du Metal noble, et d’une équipe instrumentale au moins aussi compétente que CORONER.

Bien sûr, dans le contexte de 1991, ce premier album paraissait trop daté, et trop focalisé sur des obsessions obsolètes. Le public en avait alors assez de ces musiciens au pedigree de première classe, et attendait plus de punch et de spontanéité. Dans ce cas de figure peu propice, le cristallin « Rain Falls » avait plus de chance de séduire les fans d’Empire que ceux de METALLICA ou GUNS N’ROSES, et dans le créneau progressif et pointu, seuls les PRIMUS parvenaient à tirer leur épingle du grand jeu de dupes. Pourtant, avec le recul de trente ans ou presque, il n’est pas difficile de voir en Beyond le chef d’œuvre qu’il était. Avec des parties basse/guitare à rendre fou Ron Jarzombek, et des crises de puissance le confinant au Thrash le plus élaboré (« False Religion »), JESTER’S MARCH avait l’allure d’une Testarossa pleine bourre dans les rues de Berlin, avec des chromes rutilant de Heavy, et un moteur 12 cylindres en Thrash. L’album défilant, nous constations l’absence formelle de fillers, même si le tempéré « Rhapsody in Lies » semblait marquer un peu le pas. Mais heureusement, « To Wicked Leaders » et son intro CORONER/WATCHTOWER relançait méchamment la machine, avant que « Into the Void » n’impose une cure de jouvence Metal plombé du plus bel effet lyrique. Quelques années plus tôt, ce premier LP aurait connu un succès d’estime gigantesque, hissant certainement JESTER’S MARCH à la hauteur de ses confrères cités dans cette chronique. Mais en 1991, le train du Heavy Metal de grande classe était passé depuis longtemps, le Thrash se mourrait, et la combinaison des deux assurait un grand plongeon dans les eaux de l’indifférence. Avec à peine huit milles copies écoulées, Beyond s’enfonça dans la légende des grands chefs d’œuvre maudits, et la suite des aventures du groupe ne permit pas de le réhabiliter. Avec un Acts timide et trop soft, JESTER’S MARCH connut le même destin que HEIR APPARENT, passant du statut d’espoir brillant à celui de confirmation manquée. Beyond n’a d’ailleurs jamais connu la moindre réédition depuis sa sortie de 1991, une injustice que les labels se doivent de réparer au plus vite.

                      

Titres de l’album :

                      01. Beyond

                      02. Middle of Madness

                      03. Believe

                      04. Jester’s Rise

                      05. Rain Falls

                      06. False Religion

                      07. Rhapsody in Lies

                      08. To Wicked Leaders

                      09. Into the Void

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par mortne2001 le 18/05/2020 à 16:12
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Commentaires (4) | Ajouter un commentaire


poybe
membre enregistré
18/05/2020, 20:21:24
Celui là j'ai la K7 (pas encore de lecteur CD à l'époque) et elle fait partie de celles que je garde précieusement, avec le "Programmed" de Lethal ... Comme tu dis, il y a des groupes et des albums qui arrivent au mauvais moment. J'ai quand même quelques pépites dans ma collection.

mortne2001
membre enregistré
18/05/2020, 21:21:27
Lethal, j'adore. Là aussi ça fait partie des groupes honteusement sous-estimés qui se retrouvent dans tous les listings d'albums à réhabiliter. J'en parlerai un jour d'ailleurs, une fois que j'aurais réussi à me procurer le CD sans vendre une testicule.

poybe
membre enregistré
18/05/2020, 21:35:54
Là aussi je n'ai que la K7 ... j'ai eu mon lecteur CD au moment où j'ai acheté Images and Words.
Pour Lethal, j'ai les CD's suivants, mais pour moi c'est bien en dessous de Programmed ou du moins je n'ai jamais retrouvé ce que j'y avais aimé.

poybe
membre enregistré
18/05/2020, 21:40:08
Sinon je viens de voir qu'on le trouve sur Spotify. Il est mal référencé (dans la disco d'un autre Lethal) mais il y est. Pour l'écouter et le chroniquer c'est mieux que rien.

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